Les Pyrophorus sont des Élatérides d’Amérique du Sud, que l’on trouve aussi au Mexique. Leur originalité est d’être lumineux à la manière des vers luisants, mais de façon bien plus efficace. Ils brillent la nuit d’une assez vive lumière verte émise par deux organes situés de part et d’autre du thorax, tandis qu’un organe ventral impair situé à la base de l’abdomen émet une lumière orangée, qui n’est visible que quand l’insecte est en vol. Cet éclairage est relativement puissant puisqu’il suffit de 37 à 38 pyrophores pour égaler la flamme d’une bougie, mais il s’agit d’une lumière à spectre étroit, bien qu’un peu plus étalé que celui du ver luisant (de 486 à 720µ pour Pyrophorus, de 518 à 656µ pour Lampyris). Il s’agit d’une lumière froide: la chaleur émise par les 38 Pyrophorus est 80.000 fois plus faible que celle de la bougie. Le rendement lumineux est donc excellent, dépassant 90%. Il s’agit d’un phénomène photochimique, conséquence d’une oxydation. L’émission est avivée par le rythme respiratoire de l’insecte, et un organe lumineux privé d’oxygène cesse d’émettre. De plus, cette émission est modulée par des commandes du système nerveux, à raison de 5 à 6 changements rapides d’intensité par seconde chez Pyrophorus. Des extinctions périodiques ont également lieu pour permettre à la substance active de se régénérer. R.Dubois a bien étudié le phénomène en 1886. Il prélève un des deux organes lumineux thoraciques d’un pyrophore et le broie: Au bout d’un certain temps, sa lumière s’éteint. Le second organe est mis alors en eau bouillante et s’éteint subitement. Si on broie alors ensemble les deux organes, la masse redevient lumineuse. Dubois explique ainsi le phénomène par la présence dans les organes prélevés d’une substance (qu’il nomme luciférine) qui émet de la lumière jusqu’à oxydation complète quand la réaction est activée par une diastase (la luciférase). Cela prend un certain temps pour le premier organe. Par contre, l’extinction subite du deuxième organe plongé dans l’eau bouillante, s’explique par le fait que la diastase est détruite par la chaleur. Contrairement à la luciférase la luciférine résiste à ce traitement, et mise en contact avec la luciférase intacte du premier échantillon, se remet à émettre. C’est la luciférase qui capte un quantum d’énergie résultant de l’oxydation de la luciférine et le convertit en photons: Fiat lux !
On a montré ensuite que ce qui est valable pour les pyrophores l’est aussi pour tous les autres insectes lumineux. Le phénomène a une portée générale, mais c’est chez le pyrophore du Mexique qu’on l’a étudié en premier. C’est par des signaux lumineux rythmés que l’insecte fournit une identification de son espèce et se signale aux partenaires du sexe opposé. Les feux de l’amour !
Traditionnellement, Les Pyrophores ont été utilisés comme lampes de poche. Citons Moufet (1634): « Avant l’arrivée des Espagnols (en Amérique), les indigènes ne se servaient pas d’autres lumières, soit dans les maisons, soit au dehors. Mais les Espagnols se servent de torches et de lampes pour l’éclairage domestique, parce que la clarté que jette l’insecte disparaît complètement en même temps que la vie. Toutefois, s’ils sont obligés de sortir au dehors pendant la nuit, ou s’ils ont à combattre un ennemi nouvellement arrivé sur le terrain, ce coléoptère seul leur sert de guide pour trouver leur chemin et, à cet effet, chaque soldat est porteur de quatre Cucujos; de cette manière ils arrivent parfois à déjouer les embûches. Ainsi, quand le noble Thomas Candisius et le chevalier Robert Dudley, fils du célèbre comte de Leicester mirent, les premiers, le pied sur la côte des Indes occidentales, et qu’ils abordèrent dans la nuit, ils aperçurent dans la forêt avoisinante une quantité innombrable de lumières, semblables à des torches allumées, qu’ils virent se rapprocher d’une façon imprévue: Ils s’en retyournèrent rapidement sur leurs vaisseaux, pensant que les Espagnols s’étaient établis dans les bois, mèches allumées, avec leurs canons. » (trad.du latin)
Les pyrophores ont également servi (et servent encore actuellement) de parures, comme l’atteste Girard en 1766: « Les femmes indigènes en forment des colliers de feu et des pendants d’oreille. Les dames les introduisent, le soir, dans de petits sacs de tulle léger qu’on dispose avec goût sur les jupes. Il en est d’autre a qui on passe, sans les blesser, une aiguille entre la tête et le corselet, et on les pique ensuite dans les cheveux pour maintenir la mantille, en les entourant de plumes d’oiseaux-mouche et de diamants, ce qui produit une éblouissante coiffure ».
Michel Emerit