Rédacteur : J.P. Marger, V. Dubost
Le surprenant destin d’une carte postale.
La quête du collectionneur l’amène parfois à côtoyer d’illustres figures : ainsi, petite et grande histoire se rejoignent pour son plus grand bonheur. Il s’agit aujourd’hui d’une rencontre autour de plusieurs objets, qui nous ouvrent les portes d’un glorieux passé ! L’un d’entre nous, Vincent Dubost, collectionne depuis l’enfance tous les objets touchant à la minéralogie : échantillons, mais aussi livres, cartes postales, actions minières, médailles, et par extension, à l’histoire naturelle. Afin de s’approprier Montpellier où il venait de s’installer, il a donc acheté une série de cartes postales anciennes du Jardin des Plantes. Ses recherches l’ont également amené à se porter acquéreur d’une médaille en vermeil dont le revers portait l’inscription « Société d’Horticulture et d’Histoire Naturelle de l’Hérault ». Afin d’en connaître l’origine, il a donc contacté cette Société. Après examen, il s’est avéré que ladite médaille avait bien été gravée à la demande de la SHHNH, l’usage étant à l’époque de récompenser les lauréats des concours en leur remettant une médaille d’or, d’argent ou de vermeil accompagnée d’un diplôme dont la Société conserve encore quelques exemplaires dans sa bibliothèque.
Afin de partager sa passion pour l’histoire naturelle, Vincent Dubost nous a aimablement proposé de nous confier ce témoignage du passé et sa série de cartes postales du Jardin des Plantes de Montpellier pour être présentées au stand de la SHHNH au cours de la récente exposition Primavera.
Et c’est alors que l’affaire devient particulièrement intéressante : en examinant ces cartes de plus près afin de les dater avec précision, notre bibliothécaire en charge des Annales s’est aperçu avec surprise que l’une d’entre elle, tamponnée au départ de Montpellier à 13h.10 le 14-01-1906, adressée à M. Le professeur Lebeuf à la faculté des sciences à Besançon (Doubs), avait été rédigée et signée de la propre main de Charles Flahault ! L’authenticité de ce document ne fait aucun doute, comme attesté par le Professeur Jarry et son épouse qui nous ont fait l’honneur de nous rendre visite au salon. Cette prestigieuse signature sur ce document avait échappé à son légitime propriétaire, et il a fallu toute la sagacité d’un membre de l’Association pour s’en rendre compte !
Mais nous pouvons ainsi, en interrogeant le rôle de médiateur qu’avait la carte postale au début du siècle, éclairer le geste de Charles Flahault. En effet, à cette époque, la photographie est une pratique lente, coûteuse, très élitiste. L’expéditeur d’une carte postale, désirant parler de lui à travers l’image, va donc la choisir car elle est bien plus démocratique qu’une photographie. Elle témoigne de son activité, et il va parfois légender l’image, parler de lui par procuration à travers une image prise par un autre. [Dubost, 2014].
Le choix du visuel de la carte est donc fortement autobiographique. Il est donc tout à fait cohérent que Charles Flahault, botaniste, ait volontairement choisi une carte postale du Jardin des Plantes pour correspondre avec un autre scientifique. Mais nous pouvons encore poursuivre la recherche sur le destinataire de la carte postale ! En effet, le professeur Lebeuf de Besançon était un astronome français, né à Blaisy en Haute-Marne le 14 janvier 1859. Il fera ses études à Dijon, puis deviendra aide-astronome à l’observatoire de Besançon en 1887. Il sera par la suite nommé maître de conférences en astronomie à l’Université de Montpellier en 1898, et cinq ans plus tard, il reviendra à Besançon en tant que directeur de l’Observatoire national astronomique, météorologique et chronométrique de Besançon, et professeur d’astronomie à l’Université. Ainsi, le professeur Lebeuf passa par Montpellier, et tout laisse à penser qu’il y rencontra Charles Flahault, ce qui explique cette correspondance ! Comme elle est de plus datée de janvier, Flahault l’a donc probablement envoyé à son ancien collègue pour lui transmettre ses vœux ! Tout est cohérent !
Ce document, en apparence modeste, nous ouvre les portes de l’histoire de personnalités montpelliéraines aussi éminentes que Charles Flahault et fait écho à la tradition universitaire de cette ville en ouvrant les portes de la botanique à l’astronomie. Peut-être la collection d’astronomie de l’université de Montpellier abrite-t’elle des documents ou des instruments du professeur Lebeuf !? Ce document nous tend donc un miroir des réseaux scientifiques et universitaires montpelliérains du début du XXe siècle ! Espérons qu’il ouvrira la porte à de nouvelles recherches !
Référence : [Dubost, 2014] Vincent Dubost : Les cartes postales minières : Miroirs des évolutions entre l’Homme et le Monde Minéral. Bulletin de l’A.MI.S, 60-61 (2014)
https://www.researchgate.net/publication/320757297_Les_cartes_postales_minières_Miroirs_des_évolutions_entre_l’Homme_et_le_Monde_Minéral.
Note : il est possible de cliquer sur les photos pour les agrandir.