Initialement, cet article de Michel Gastou parût dans le numéro spécial
n° 300 de SAGA Information.
Ce département est riche en diversité de minéraux, dits « substances utiles », (Figure1), c’est sa position au pied de la Montagne Noire et des Cévennes, reliques de la vieille chaîne Varisque ou Hercynienne, qui lui vaut cette richesse minérale.
Au cours de la longue histoire de cette chaîne (300Ma) des minéraux se sont formés au gré des différentes opportunités géologiques – notamment les longues périodes d’émersions et de sédimentations continentales sous des climats changeant radicalement au cours du temps – puis se sont concentrés dans des gîtes minéraux appelés « metallotectes », localisés essentiellement au delà des plaines littorales.
Par la suite ces gîtes ont été exploités par l’homme, c’est prés de 4000 ans d’histoire des mines qui sont gravés dans la montagne où des « bouches » attestent de l’orifice d’une mine. On a pu y exploiter : du plomb, du zinc, de l’argent, du cuivre, du fer, de la barytine, de l’uranium et de la bauxite.
Je n’évoquerai dans cet article que la bauxite exploitée pour ses divers usages et en particulier le minerai de l’aluminium, citerai les trois sites qui furent exploités et mentionnerai leurs particularités mais, auparavant, il faut rappeler l’historique de l’aluminium puis préciser l’ensemble des propriétés « utiles »de ces formations bauxitiques.
Aluminium métal contemporain
Lorsque cette roche fut découverte en Guinée en 1819 par G. Mollien, elle a été considérée comme une curiosité minéralogique, parce que trop riche en alumine pour être un minerai de fer. C’est en analysant simultanément des échantillons de Guinée et de France, en 1821, que F. Berthier y découvrit la présence d’alumine hydratée. Mais il faudra attendre 1858 pour que Deville emploie un échantillon des Baux (1), comme minerai, pour fabriquer un chlorure double d’aluminium dont le métal soit aisément extractible.
Pour obtenir du métal par le feu à partir des minéraux non natifs, l’homme, depuis qu’il a découvert la métallurgie, a su pendant longtemps, sans trop le comprendre du point de vue chimique, activer et provoquer la réduction du minerai métallique par un réducteur au carbone donneur d’électrons. Pour cela le charbon de bois fut longtemps utilisé.
L’aluminium ne peut être extrait du minerai par ce type de procédé car sa métallurgie dépend d’une source d’électrons réducteurs extérieurs au réactif. C’est par l’électrochimie que l’on y parvient.
L’extraction est réalisée en deux temps :
1°) Préparation de l’alumine à partir des bauxites par des procédés classiques : broyage triage, lavage etc. (procédés Ste-Claire Deville et Bayer).
2°) Isolement de l’aluminium par la décomposition électrolytique de l’alumine (procédé Héroult). Ce procédé consiste à décomposer de l’alumine en dissolution dans un bain de cryolithe(2) en fusion par un courant électrique aboutissant au bain.
On comprend dés lors que cette métallurgie n’a pu se développer avant la maîtrise en quantité de l’électricité dont elle dépend étroitement.
L’aluminium est donc un métal contemporain qui, pendant longtemps, a été un métal rare utilisé en joaillerie.
On raconte que Napoléon III faisait mettre à la disposition de ses hôtes les plus illustres des couverts, fourchettes et cuillères, en aluminium alors que les autres convives devaient se contenter d’or et d’argent !
Propriétés « utiles » des formations bauxitiques
On rencontre du minerai sous trois colorations :
– La bauxite blanche, qui est la plus riche en alumine. L’alumine hydratée 3% de fer, 70 à 75% d’alumine, trouve son emploi dans les industries du verre et de la porcelaine, en papeterie, en tannerie et dans l’industrie textile. Elle a été abondamment exploitée dans l’Hérault à Cazouls-les-Béziers et à Villeveyrac.
– La bauxite grise, plus riche en silice, trouve notamment son emploi dans les fonderies pour confectionner des moules en sable.
– La bauxite rouge, colorée par l’hématite, minerai du fer, sera décrite dans le paragraphe « Les gisements de l’Hérault et leur exploitation ».
Les gisements se présentent sous forme de couches ou de poches (Figure 2). Dans les deux cas, ils reposent sur un substrat «mur» toujours très irrégulier.
Les couches sont recouvertes par un « toit » en calcaire stérile de forme régulière en pente et en direction. Les gisements sont ensuite recouverts de « mort terrain » (vocabulaire de carriers)
Les poches (Figure 3), au contraire, n’ont pas de forme bien définie elles sont le résultat de la fossilisation par la bauxite de cavités dans des terrains dolomitiques. Elles sont souvent d’aspect spectaculaire, semblables aux reliefs du cirque de Mourèze(3). Elles ne sont généralement pas recouvertes d’un « toit » mais de «morts terrains» plus ou moins cohérents.
Les deux gisements sont exploités soit souterrainement par galeries et piliers abandonnés, soit à ciel ouvert, après décapage des morts-terrains
Caractéristique de la bauxite rouge
Cette roche alumineuse et ferrugineuse s’observe généralement sur le terrain selon deux types de formations. G. Bardossy (1981) propose de désigner :
– bauxites de karst, celles observées sur ou dans un substrat carbonaté,
– bauxites latéritiques, celles de substrat alumino-silicaté.
Dans l’Hérault on ne mentionne que la bauxite de karst parce que stocké dans des poches dolomitiques à Bédarieux et Cazouls-les-Béziers et en couches à Villeveyrac. Les formations de bauxite latéritique n’existent plus ici, elles ont été détruites par le démantèlement géologique.
La composition du minerai et les proportions de son constituant sont variables selon le site, mais en règle générale on n’exploite pour la rouge que du minerai titré à 60% d’alumine, 3% de silice et 18% de peroxyde de fer.
Genèse des bauxites
Si le mode de formation des bauxites latéritiques est aujourd’hui pour l’essentiel bien connu, il n’en est pas de même de la genèse des bauxites karstiques, dont l’interprétation suscite encore bien des hypothèses et des controverses. Je ne puis ici développer l’ensemble de cette controverse – genèse autochtone ou allochtone ? – On peut dire, pour simplifier, que l’évolution pédologique des sols a conduit à l’accumulation dans des gîtes karstiques, des hydroxydes d’alumine constituant essentiel de cette roche, sans préciser leur lieu de formation. (Figure 4)
Pour Bernard Gèze(4), L’allochtonie relative des bauxites languedociennes parait aujourd’hui certaine ; cependant le transport ne s’est probablement pas fait à grande distance et le substrat calcaire a été indispensable à l’évolution géochimique enregistrée. La plupart des auteurs récents, languedociens (M. Gottis, 1964 ; P.J. Combes, 1969) et provençaux (voir guide géologique Provence, p. 151) ont été conduits à rechercher l’origine des matériaux qui ont été « bauxitisés » dans les marnes ou les formations glauconieuses du Crétacé inférieur. Les remaniements sont liés à la karstification consécutive à l’exhaussement relatif du substratum pendant le crétacé moyen et la conservation au revêtement par des formations continentales du crétacé terminal…dans la plupart des cas, on a affaire à une latérite pisolithique (Figure 5) qui remplit d’une façon assez chaotique des dépressions karstiques, mais qui parfois se présente en couches plus régulièrement stratifiées… Les minéraux principaux sont la gibbsite Al (OH)3, la boehmite et parfois le diaspore AlO(OH) mais ils sont presque toujours accompagnés par des oxydes de fer, hématite Fe203 ou goethite FeO(OH) et par des minéraux argileux, surtout Kaolinite AI4. Si4. 010 (OH8)…Du point de vue stratigraphique, la bauxite recouvre un mur en calcaire ou dolomie du Lias près de St-Chinian, du Dogger près de Bédarieux, du Malm dans la région montpelliéraine, puis de l’Urgonien au-delà du Rhône. Le toit correspond à des séries le plus souvent continentales datées du Crétacé supérieur. La genèse, ou tout au moins la mise en place de la bauxite, se situe principalement entre l’Aptien et le Cénomanien, dans des zones qui furent à cette époque basses et temporairement recouvertes par la mer ou des marécages
Production nationale
La France est restée à la tête de la production mondiale de bauxite jusqu’en 1939. Après un pic atteint en 1973 avec 3,4 Mt (millions de tonnes) sa production n’a ensuite jamais cessé de décroître pour s’arrêter quasi définitivement en 1991. La raison en est à la fois un épuisement des gisements de type karst (donc ponctuels) et, par la découverte à l’étranger de minerais latéritiques qui occupent souvent de très vastes superficies ; 90 % des tonnages connus actuellement dans le monde appartiennent à des gisements latéritiques.
Les gisements (4) de l’Hérault et leur exploitation
L’extraction du minerai pour l’aluminium s’est déroulée sur une période de 80 ans et a pris fin dans les années 1975/85, essentiellement pour des raisons de concurrence avec la bauxite latéritique plus économique à exploiter. Toutefois des exploitations de minéraux destinés à l’industrie du ciment et de l’asphaltage continuent à Villeveyrac et dans d’autres petits sites que je n’ai pas nommés.
L’exploitation comprenait trois centres de production qui sont, par ordre d’importance : Bédarieux, Villeveyrac et Cazouls-les-Béziers,
Au centre de Bédarieux trois groupes de chantiers ont été exploités sur une aire de quelques kilomètres carrés :
– Au nord : l’exploitation du Bousquet de la Balme,
– A l’est : l’exploitation de l’lssart Rouge,
– Au sud-est : l’exploitation de l’Arboussas, la plus importante, dont la production totale atteignait 25000 tonnes par mois. L’allure générale du site karstique est marquée par une succession juxtaposée de poches dolomitiques d’érosion. (Figure 3). Ce gisement contenait, soit isolées soit mixtes, les trois qualités de bauxite décrites.
Elles ont été extraites selon leur titrage en élément recherché. Il faut toutefois préciser que, par rapport aux gisements en couches (Villeveyrac), leur exploitation a souvent posé aux mineurs des problèmes bien particuliers lorsque, dans un même karst, coexistaient de nombreuses compositions (allochtonie ?).
Dans ce cas, le gisement est formé d’un nombre quelconque de trois modules en forme de « boules » empilées, de volume différent, pouvant atteindre de 10 à I5m de diamètre. Certaines « boules » homogènes bien titrées étaient exploitables, d’autres, homogènes, mais comportant plus de 8% de silice n’étaient pas exploitables pour l’aluminium. Enfin des « boules » mixtes comportant les deux types devaient être triées.
Les carriers comparent cette hétérogénéité à un « nougat » dont il faut extraire et évacuer « la pâte » pour atteindre, par galeries, les « amandes » de la qualité recherchée.
Le gisement en couches de Villeveyrac exploité en carrières souterraines est très étendu, hétérogène. Le chantier « Les Usclades », a été ouvert au début de 1954, il produisait des bauxites rouges et blanches. C’est la rouge, qui constituait l’essentiel des tonnages expédiés, la bauxite blanche (3 % de fer, 70 à 75 % d’alumine) est utilisée dans l’industrie de la céramique et la fabrication de revêtements de fours.
Le gisement en poches karstique de Cazouls-les-Béziers offrait des réserves connues moins importantes que celles de Bédarieux et de Villeveyrac. Les bauxites qu’il produisait étaient de bonne qualité et de variétés diverses : bauxite rouge et blanche. La blanche était employée à la fabrication de produits réfractaires de qualité.
A l’exception de Villeveyrac, les autres sites d’exploitation qui viennent d’être décrits sont désormais fermés probablement à tout jamais. Pour conclure, il faut déplorer le sort injuste généralement réservé à ces carrières. Elles sont souvent détruites ou abandonnées au vandalisme. Ci-après le plaidoyer de l’Association de Sauvegarde du Pays Pézenol (Bédarieux) destiné aux autorités locales.
Le patrimoine unique des carrières de bauxite de Pézènes-les-Mines
– Des sites aussi intéressants, s’ils sont préservés par des mesures prises à temps, ne manqueront pas de représenter une richesse historique, scientifique et culturelle. Pour ces raisons, ces carrières constituent un patrimoine exceptionnel pour la région languedocienne, le département et la commune de Pézènes-les-Mines. Toutes les villes du Bassin de Bédarieux peuvent profiter de ce patrimoine inscriptible dans un ensemble environnemental, culturel et scientifique qu’elles partagent en commun. Ces témoins de la géologie et du passé minier des Hauts-Cantons de l’Hérault justifient des mesures de protection et de classement.-
Michel Gastou 21/ 06/ 2010. Avec l’aimable autorisation de l’auteur pour le site de la SHHNH.
(1) L’appellation bauxite est due à H. Sainte-Claire Deville (1861), en référence au nom du village des Baux-de-Provence près d’Arles.
(2) La cryolithe, ou cryolite, est une espèce minérale composée de fluorure double de sodium et d’aluminium, de formule Na3AlF6. Elle a été découverte sur la côte ouest du Groenland. C’est un minéral rare.
(3) Cirque dolomitique de Mourèze (Hérault) curiosité géologique et touristique (type Montpellier le Vieux) Guide géologique Masson (voir indice 4).
(4) Guide Masson : Languedoc Méditerranéen Montagne Noire. 1979
(5) Ne sont cités dans cet article que les gisements principaux et pas forcément tous leurs satellites. Pour la liste complète voir l’Inventaire Bauxitique (BRGM 1979).
Documentation principale :
– BRGM éditions : Carte Géologique de la France 1/250 000 Montpellier (2003), Martine Ambert : Hérault miroir de la Terre (2004), Jean. Claude. Bousquet et Gabriel Vignard : Découverte géologique du Languedoc méditerranéen (1995), J.Cl. Bousquet : Géologie du Languedoc Roussillon (2006).
– Les Écologistes de l’Euzière : J.Cl. Bousquet, La géologie de l’Hérault (1991)
– UNIVERSALIS : Michel Esterle et Jean Pierre Lajoinie : bauxite (2002)
– PUF J. Reisse : La Longue Histoire de la Matière (2007)
– J.Calvet professeur au lycée F. Fabre de Bédarieux (Hérault) : Géologie de la région de Bédarieux (1963)
– La Vie du Rail (n° 604 juillet 1957) M. Euzet, La bauxite et sa production dans l’Hérault.