Au 16e siècle, au moment de la conquête espagnole (chute de l’empire Aztèque avec la prise de Tenochtitlan en 1521), les conquistadors, les religieux qui les accompagnaient ou ceux qui parcoururent le Mexique méridional rapportèrent que les populations locales utilisaient des champignons aux propriétés « enivrantes » au cours de cérémonies rituelles. Ils décrivaient l’apparition, sous l’effet de ces champignons absorbés crus, frais ou secs, de sortes de rêves colorés, de crises d’hilarité, d’excitation, de « visions démoniaques », de phases de torpeur. Des personnages, sortes de chamanes, tiraient profit des états obtenus pour prédire l’avenir, retrouver la cachette d’objets volés ou comprendre des états pathologiques en vue de prévoir leur évolution et leur traitement. Ces champignons, agents de communication avec le monde divin, et associés aussi aux cérémonies sacrificielles, étaient désignés par les Aztèques, dans leur langue le Nahuatl, sous le nom de Teonanacatl, généralement traduit par « Chair de Dieu ».
Diego Duran, dans son Historia de la Indias de Nueva Espana évoque les cérémonies du sacre de Montezuma II, empereur aztèque en 1502 :
« Le sacrifice terminé, et les marches du temple et la cour restant baignés de sang humain, ils s’en allèrent pour manger des champignons crus, nourriture qui leur faisait perdre à tous la raison et les laissait dans un état pire que s’ils avaient bu trop de vin ; ils étaient tellement ivres et privés de raison que beaucoup se suicidaient, et grâce aux pouvoirs de ces champignons, ils avaient des visions et l’avenir leur était révélé, le diable leur parlant tandis qu’ils étaient en état d’ivresse ».
Le caractère « démoniaque » attribué à ces rites allait conduire à leur suppression et leur occultation par la destruction de tout ce qui pouvait maintenir la mémoire. On cite généralement en exemple la destruction de Mani dans le Yucatan le 12 juillet 1562 où Diego de Landa, évêque du Yucatan, avait rassemblé et détruit des milliers d’idoles et de documents (dont 27 « rouleaux »), obtenus par des méthodes qualifiées d’extrêmes.
Citation :
« Nous trouvâmes parmi eux un grand nombre de livres écrits dans ces caractères et comme ils ne contenaient que des superstitions et des mensonges diaboliques, nous les avons tous brûlés, ce qu’ils regrettèrent d’étonnante façon et ce qui provoqua chez eux une affliction extrême. »
L’effet de désolation sur la population fût tel que la conduite de Diego de Landa a été jugée excessive et outrepassant son rôle. Rappelé en Espagne il dut sa réhabilitation à la description détaillée de ses connaissances acquises sur les civilisations locales, notamment le calendrier Maya. Déjà, à cette époque, le caractère ancien de ces rites était soupçonné mais, pendant 3 siècles, ces témoignages n’ont suscité aucun écho.
Au 20ème siècle, la persistance au Mexique de rites à base de champignons est confirmée par V. Reko, un autrichien, puis par un botaniste, R. E. Schultes qui se procure des échantillons et les détermine. Dans les années 1950, les connaissances progressent rapidement sous l’impulsion d’un ethnologue américain, R. Gordon Wasson (1898-1986), de son épouse et d’autres spécialistes qu’il associe à ses recherches, notamment le mycologue Roger Heim et le chimiste Albert Hoffmann.
La persistance de rites est confirmée dans les régions montagneuses du Mexique méridional, rites variables selon l’origine ethnique des populations locales concernées et mêlant références ancestrales et influences d’origine catholique, mais tous s’appuyant sur les effets de champignons spécifiques sous la direction de curanderos plus ou moins qualifiés. Dans cette aventure, une curandera nommée Maria Sabina (1894-1989), initiatrice de R. G. Wasson et de R. Heim et de bien d’autres, deviendra célèbre et attirera contre son gré de nombreux curieux à la recherche de sensations.
Le groupe rassemblé par R. G. Wasson allait conduire à identifier les espèces utilisées et l’ensemble des espèces actives, appartenant essentiellement aux genres Bolbitius, Conocybe, Panaeolus, Stropharia, et surtout Psilocybe, avec de nombreuses espèces nouvellement connues. Le conférencier fait le survol des espèces utilisées au cours des rituels et des espèces apparentées et voisines identifiées depuis cette époque, actives et inactives.
Deux principes actifs sont rapidement identifiés par A. Hoffmann et leur structure confirmée par synthèse totale : La psilocybine, 4-phosphoryloxydiméthyl tryptamine et la psilocine, son dérivé déphosphorylé 4-hydroxydiméthyl tryptamine, forme active. Plus tard, un autre dérivé actif, la baeocystine est caractérisée comme étant la 4-hydroxymonométhyl tryptamine. En raison de leurs effets et de l’analogie structurale avec la sérotonine (5-hydroxy tryptamine), médiateur chimique de certains neurones cérébraux, ces dérivés ont suscité à l’époque un grand intérêt auprès des pharmacologues, des psychopharmacologues et de la psychiatrie. Les « reviviscences » d’évènements passés, oubliés ou refoulés et qui s’imposent sous l’action du produit, en même temps qu’une levée des inhibitions et du contrôle de soi, l’apparition de phénomènes hallucinatoires, faisaient espérer des avancées dans le domaine de la connaissance du cerveau et de la thérapeutique, d’autant que A. Hoffmann venait de reconnaître des propriétés identiques à un composé voisin, quoique plus complexe, le LSD 25. La recherche des relations entre structure et activité de nombreux dérivés fut également entreprise. Cette recherche s’avéra plutôt décevante et rapidement polluée par l’engouement de la part d’usagers à la recherche d’états les conduisant vers de soi-disant « paradis artificiels » dans des « voyages » (pas toujours faciles) les éloignant de la réalité. L’analogie avec les effets du Peyotl (et de son principe actif, la mescaline), lui-même instrument de culte dans des régions plus sèches du nord du Mexique ou de l’Ololiuqui, un autre agent d’origine végétal utilisé à la place de champignons renforçait encore l’intérêt des chercheurs.
Dans cette même période des années 1950, des statuettes de pierre combinant représentation animale ou humaine et représentation de champignon furent découvertes (certaines étaient déjà connues et exposées), identifiées comme de très anciens objets de cultes précolombiens, remontant parfois pour certaines jusqu’à 1000 ans avant notre ère et reconnues comme très probablement en relation avec des rites sacrificiels. L’analyse d’illustration dans les quelques « codex » sauvegardés apporta également des éléments dans ce sens.
De nos jours, il n’existe à notre connaissance plus de rituels utilisant des champignons à psilocybine au Mexique et la place qu’ils jouaient précisément au sein des différents peuples et civilisations qui ont construit ce pays restera sans doute à jamais imprécise. De tels champignons à psilocybine ont été mis en évidence dans toutes les régions du monde et ils continuent d’attirer certains usagers. On sait d’ailleurs en cultiver certains et on trouve même des brevets les concernant. En raison de leur usage en tant que drogue, leur détention, leur transport, leur vente sont interdits et réprimés dans la plupart des pays dont la France, où le seul psilocybe actif est Psilocybe semilanceata.
L’arrêté du 22 février 1990 classe comme « stupéfiants » : – DET, DMT, LSD, mescaline, psilocine et psilocybine (annexe III) – acide lysergique et ses dérivés (annexe III) -champignons hallucinogènes, notamment des genres Stropharia, Conocybe et Psilocybe (annexe IV)
par arrêté du 18.08.2004, il est ajouté à l’annexe IV de cet arrêté : – Peyotl ou peyote, ses principes actifs et leurs composés naturels et synthétiques autres que la mescaline
Claude Lafille
Quelques références de base :
Les champignons hallucinogènes du Mexique ; études ethnologiques, taxinomiques, biologiques, physologiques et chimiques ; R. Heim et R. Gordon Wasson, éditions du Museum d’Histoire Naturelle de Paris, 1958
Les champignons toxiques et hallucinogènes ; R.Heim, éditions Boubée, Paris, 1963
Les rites des champignons sacrés chez les Maya ; R. Heim, Science et Nature, (1963), n° 59
Psilocybin mushrooms of the world ; Paul Stamets, Ten Speed Press, Berkeley, 1996