Botanique-Horticulture

Les chênes : le chêne vert (1/4)

Le chêne vert, l’yeuse/l’euse

Son nom botanique est Quercus ilex, ilex étant le nom de l’arbre chez les Latins (« sorte de chêne, yeuse » nous dit le dictionnaire de latin Gaffiot). Le nom occitan vient donc directement du latin ilex. L’appellation euse (prononcez [eousé]) est largement la plus répandue, en Languedoc comme en Provence, mais on trouve aussi elze en languedocien, euve du côté de Marseille, ausilha [aousillo], eusina [eousino] en Provence plus intérieure et ausina [aousino] dans l’Aude. Notons qu’en catalan, il s’appelle alzina. Euse (du genre masculin) est passé au français pour donner « yeuse(du genre féminin), mot qui est employé par certains romanciers du sud d’expression française (Giono, Pagnol) qui n’usent jamais de « chêne vert » dans leur récit, pas plus que le dictionnaire de latin cité précédemment.

Chêne vert

Chêne vert

Omniprésent sur le territoire, il l’est tout autant dans le bottin : comptez le nombre de gens s’appelant Dezeuze, Deleuse, Elzière ! Le chêne vert y est bien représenté, particulièrement en Languedoc ! Quant à savoir pourquoi, c’est une autre affaire : un ancêtre habitant près d’un chêne ? ou fort comme un chêne ? C’est tellement l’arbre de nos sols calcaires méditerranéens que les botanistes ont bien failli le choisir pour définir la zone méditerranéenne. Mais comme il se permet quelques échappées sur la côte atlantique ou à des altitudes « anormales » dans les Alpes de Haute Provence par exemple, ils lui ont préféré l’olivier. C’est par contre l’arbre par lequel on définit le premier étagement de la végétation méditerranéenne (étage du chêne vert), lui-même surmonté par l’étage du chêne blanc. La « chênaie verte » est l’association végétale qui regroupe autour de ce chêne tout le cortège des plantes méditerranéennes de la garrigue (les vraies, dites euméditerranéennes, cistes, pistachiers, kermès, cades, filarias, laurier-tin) dans les situations chaudes et sèches, notamment les versants sud des collines appelés «adret ». Adret est un mot occitan, que le français lui a emprunté, et qui vient du latin directus (dans la direction du soleil). Ces chênaies vertes s’appellent eusièira, euseda, auseda (en languedocien)/eusiera, euviera en provençal, et ont bien sûr donné de nombreux toponymes (L’Eusière, Lauzières, L’Euzède, Auzède), et si l’on parle d’un bois plus petit L’Euset, L’Eusette (illicetum en latin). Notons que la présence d’un z entre deux voyelles dans les noms francisés est bien sûr un des multiples avatars dus à la transcription des noms occitans, qui n’est point justifié par l’étymologie (même avatar pour « maset », quelquefois improprement écrit mazet).

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Publié le: 26/01/2016

Les chênes – Introduction

Au cours de quatre courtes chroniques, nous évoquerons les chênes familiers des paysages méditerranéens. En tant que lexicographe et ethnobotaniste en domaine occitan, c’est très peu en termes de botanique que nous aborderons le sujet, mais avant tout sous son aspect culturel et lexical : quels usages avaient-ils dans nos régions, comment étaient-ils perçus et nommés, quels toponymes (noms de lieux) et anthroponymes (noms de personnes) ont-ils donné, quels sont les noms français empruntés à l’occitan pour décrire les paysages, tous problèmes qui relèvent de l’ethnobotanique, c’est-à-dire des rapports étroits que l’homme entretient avec son environnement végétal.

De fait, à cause de la coupure avec la nature, des pans entiers de savoirs populaires disparaissent ou ont disparu définitivement. Ils étaient pourtant le signe d’un rapport très privilégié avec la nature méditerranéenne. Ainsi pour le sujet qui nous préoccupe, peu de gens savent encore distinguer et nommer les chênes (hormis les passionnés de botanique bien sûr), savoir pourtant spontané chez tous les paysans et vignerons  : nous ne croyons donc pas inutile de tracer rapidement le « portrait culturel » de ces arbres autrefois familiers de tous, mais devenus étrangers à beaucoup d’habitants de la région. La lecture des cartes géographiques prend ainsi un tout autre sens lorsque l’on sait décrypter les noms de plantes qui ont servi à former les innombrables noms de lieux.

L’évocation de quelques notions élémentaires d’écologie ou de floristique sera avant tout un prétexte à introduire un vocabulaire qui transparait dans les noms de lieux, ou à évoquer le regard occitan sur l’environnement, notamment à travers des citations d’auteurs.

En ce qui concerne les noms occitans (toujours écrits en caractères gras), nous donnerons les noms languedociens, suivis des noms provençaux dans le cas où ils sont différents. Il n’est bien sûr pas question de rentrer ici dans les moindres détails des appellations, et de faire de la dialectologie : nous restituerons ces renseignements plus complets dans un dictionnaire d’ethnobotanique en cours de rédaction. Afin d’aider les lecteurs peu au fait de la langue d’oc, nous donnerons ici ou là une prononciation phonétique approximative (la syllabe soulignée représentant l’emplacement de l’accent tonique).

A tout seigneur tout honneur, tout d’abord l’arbre-roi des collines du Midi : le chêne vert

Josiane Ubaud

Les quatre articles suivants sont : 1 – Le chêne vert. 2 – Le chêne blanc. 3 – Le chêne-Kermès. 4 – Le chêne-liège.

Publié le: 26/01/2016