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Les chênes : le chêne-liège (4/4)

Le dernier des chênes dont nous parlerons, toujours sur un plan ethnobotanqiue, est le chêne liège. Mais il est absent du Languedoc (sauf très rares sujets isolés) car il a d’une part horreur du calcaire, et d’autre part besoin d’une plus grande chaleur que les autres chênes vus jusqu’à présent. On le trouve donc sur les terrains siliceux de Catalogne, et dans les Maures et l’Estérel en Provence. Ses noms occitans sont siurièr en languedocien et suvrier en provençal, dérivés du nom latin suber (liège), qui définit le nom d’espèce Quercus suber. Une « subéraie » se dit donc en occitan une siureda, ou une suvriera. Mais les toponymes sont bien sûr plus rares que ceux dérivés des autres chênes, et comme anthroponymes, on ne connaît guère que Sube, nom de famille fréquent en Provence. En catalan, cet arbre s’appelle surer, et une forêt sureda, ce qui a donné le nom du village des Pyrénées orientales, Saint André de Sorrède (plus connu pour la fabrication de fouets en bois de micocoulier).

Chêne-liège démasclé

Chêne-liège démasclé

Si du côté des feuilles, il ressemble beaucoup au chêne vert, c’est évidemment son écorce profondément creusée qui est caractéristique. Elle est une excellente protection contre les incendies : la forêt de chênes lièges que l’on peut voir de l’autoroute en allant en Espagne a brûlée il y a quelques années, et les troncs pourtant calcinés sont repartis en faisant des bouquets de jeunes pousses tout le long des branches. En fait, cette écorce est composée de deux parties. La plus interne est dite écorce mère (rusca maire) qui produit le liège (siure/suve (liège), écorce qu’il ne faut pas abîmer lors de la récolte. La première écorce d’un arbre est dite mâle (rusca mascla) : c’est un liège de mauvaise qualité et qui ne servait qu’aux pêcheurs. Pour récolter du liège de bonne qualité, il faut enlever cette écorce mâle sur des sujets assez âgés, et attendre que l’écorce mère produise à nouveau du liège.

L’exploitation du liège se faisant exclusivement sur les territoires de langue d’oc, tous les termes du métier sont donc occitans et passés tels quels au français. Enlever l’écorce mâle pour pouvoir exploiter un arbre, c’est démascler un chêne (desmasclar), et celui qui fait cette opération est un démascleur (desmasclaire).

Écorce du chêne-liège

Écorce du chêne-liège

L’écorce primitive est coupée sur une hauteur de deux mètres environ, et les troncs présentent alors une couleur brun rouge très caractéristique sur toute la partie démasclée. L’écorce mère va donc produire à nouveau des tanins, donc une épaisseur de liège dit écorce femelle (rusca femèla) que l’on récolte environ tous les dix ans. Cette opération s’appelle le levage (levatge), et elle est faite par un leveur (levaire), avec un outil spécialisé. Les manchons d’écorce sont entassés au pied des arbres, et transportés par des camalos sur des camions (autrefois des charrettes à chevaux).

La forêt des Maures présente encore quelques arbres démasclés (le contraste rouge brun de la partie démasclée/gris blanc du reste de l’arbre est saisissant, la visite du massif en voiture est hautement recommandée !), mais l’exploitation du chêne liège n’est plus aussi prospère qu’autrefois, où elle a fait la fortune de nombreux bouchonniers : on peut voir ainsi comme témoins de cette activité économique, leurs superbes maisons bourgeoises à Collobrières, village de l’intérieur du Var. Quelques plaques de liège, directement issues du levage et présentant donc la forme incurvée du tronc, sont en vente dans les rues même du village, avec les châtaignes et produits dérivés, autre spécialité du coin. Les bouchonniers catalans ont eu eux aussi leurs heures de gloire : anciennes usines reconverties depuis à d’autres usages, belles demeures dans les villages (marquées de palmiers et de rosiers de Banks) sont les témoins silencieux d’une prospérité passée. Car ce sont maintenant l’Espagne et le Portugal les grands producteurs de liège. La forêt méditerranéenne gagnerait pourtant à ce que cette activité reprenne : entretenue, habitée par l’homme, elle subirait moins les ravages des incendies.

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Publié le: 26/01/2016